Gabrielle demande un rendez-vous à Pascal. Elle est irritée par la nouvelle directive du Groupe de direction concernant la mise en œuvre du new work. A la tête d’une antenne régionale, elle a développé un projet pilote avec son équipe. En l’espace de quelques mois, elle a instauré un système d’auto-organisation dont l’ampleur a pris tout le monde par surprise. L’expérience a si bien marché que la filiale est devenue une référence pour le changement qui doit être introduit dans toute l’entreprise.
La nouvelle directive fixe quelques règles du jeu pour les équipes qui souhaitent emboîter le pas à Gabrielle. Celle-ci est choquée par le document émis par la Direction : il fait preuve d’un cruel manque d’ambition ! Elle ne pourra d’ailleurs pas s’y plier, puisque sa filiale s’est développée bien au-delà du cadre défini par la directive. Elle est aussi irritée de voir Pascal reculer alors qu’il lui avait donné carte blanche pour l’expérience qu’elle a pilotée.
Pascal lui rappelle que l’organisation est vaste et que tout le monde n’est pas aussi avancé que son équipe. Difficile équilibre à trouver entre ceux qui veulent se lancer et ceux qui ont besoin d’un cadre de sécurité en voyant l’évolution fulgurante de l’antenne régionale. La conversation reste légèrement tendue et un silence embarrassé s’installe, chacun campant sur ses positions.
Finalement, Pascal lance la question suivante : « Gabrielle, aurais-tu imaginé il y a six mois être là où tu en es aujourd’hui ? Avec le recul, aurais-tu imaginé un jour avoir la marge de manœuvre que tu as aujourd’hui ? Oui c’est vrai, si tu regardes vers l’avant, les choses ne vont pas assez vite. Mais n’oublie pas non plus de regarder en arrière pour mesurer tout le chemin parcouru. »
Gabrielle paraît soudain soulagée, l’atmosphère se détend.
Nous vivons dans un monde où le temps s’accélère et où il faut avoir tout et tout de suite. Nous le savons et il nous arrive aussi de nous en plaindre. Mais nous ne mesurons sans doute pas à quel point nous sommes conditionnés par cette perception tronquée du temps.
Nous sous-estimons massivement le temps qui est nécessaire au changement : dans nos vies, dans notre société ou dans nos organisations. Nous croyons qu’il suffit d’un coup de baguette magique pour changer les choses. Nous nous impatientons et nous doutons quand les résultats attendus ne sont pas à portée de mains. Nous oublions de voir qu’un pavé dans la mare provoque des remous dont les ondes concentriques se diffusent encore longtemps sur la surface de l’eau jusqu’à ce que celle-ci retrouve son calme. Même la pandémie qui a pris le monde par surprise n’en finit plus de déployer ses effets bien des années après avoir été jugulée.
Nous avons complètement perdu la notion des cycles et des saisons. Ceux-ci conditionnent pourtant encore notre rythme biologique et notre psychisme. Tout comme ils le font pour nos organisations. La transformation organisationnelle est un processus qui se déroule sur un temps long, bien au-delà de la phase initiale du changement. Il est un plan qui s’étale sur plusieurs années. Accepter ce délai et le revendiquer permet de mieux gérer les attentes personnelles comme celles du groupe. D’apprécier aussi les étapes accomplies plutôt que de désespérer de celles qui restent à franchir. D’accueillir le changement et ses remous de manière souveraine plutôt qu’immature.
Extrait de « Safe enough tot try, se transformer soi-même pour transformer son organisation »: https://shop.isca-livres.ch/isca-livres/1178-book-safe-enough-to-try.html

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