Le rite de passage

La transformation fait passer l’organisation d’un état à un autre. Elle la mène à un nouveau stade de son évolution. Une mise en scène adéquate aide les équipes à conscientiser ce cap et à le franchir avec les yeux tournés vers l’avenir plutôt que vers le passé.

Une trentaine de personnes est assise sur des chaises colorées en cercle dans la grande salle de séance.  Au centre, une bougie est allumée. Elle représente l’association de Pascal.

Avec l’appui de ses coaches, l’organisation a de fil en aiguille complètement revu sa manière de travailler. Elle a adopté un système de gouvernance basé sur la décentralisation, la responsabilisation et la confiance. L’équipe s’est formée aux outils de cette nouvelle philosophie de travail en prévision de son introduction. Des résistances sont toutefois apparues avant de faire le grand saut. Le changement désiré est dans les cœurs, mais la tête résiste. Comment cela va marcher exactement ? Il faut tout savoir en détail avant de faire le pas. Les nouvelles explications appellent toujours de nouvelles questions.

Pascal a donc invité son équipe à un rituel, facultatif bien sûr. La nouvelle forme d’organisation demande à tous ses membres de grandir. Il leur est nécessaire de s’enfoncer dans la forêt pour être initiés. Tout comme le font les jeunes gens dans les traditions premières lorsque leur tribu les y envoie pour qu’ils deviennent adultes. La lumière tamisée de la fin de l’après-midi donne une atmosphère intime à la pièce et au cérémoniel simple qui s’y déroule. Chacun est invité à exprimer ce qu’il laisse derrière lui pour s’enfoncer dans l’inconnu et ce qu’il emporte dans son sac. L’attention est palpable. Pascal éteint finalement la bougie représentant l’organisation telle que l’équipe la connaît. « Quand nous sortirons de la pièce », avertit-il, « nous entrerons dans une nouvelle réalité ».

Trois semaines plus tard, la nouvelle forme d’organisation est déjà rôdée. Les réunions de travail se font désormais en cercle avec un déroulement bien précis : chaque participant est invité à s’exprimer à tour de rôle, tantôt pour demander des éclaircissements, tantôt pour réagir ou faire des propositions. Les sujets sont traités les uns après les autres, les décisions sont prises lorsqu’il n’y a pas d’opposition, chacun intervient dans le cadre de ses compétences et dans le respect de celles des autres. Une forme d’ascèse s’installe : laisser les autres s’exprimer élargit les points de vue. Admettre que plusieurs solutions mènent au même but ouvre les horizons. Prendre des décisions sur la base de ce que l’on sait et sans se perdre dans des conjectures est libérateur. Les objectifs sont fixés en équipe, les performances sont évaluées entre pairs dans un esprit de bienveillance et de transparence. C’est un nouveau départ.

La nouvelle forme de management stimule la créativité des collaborateurs de Pascal et fait rapidement la renommée de l’association. Son expérience est régulièrement sollicitée. Un fabricant d’accessoires à la mode adopte le système salarial que son organisation a conçu en cohérence avec sa philosophie de travail, un grand parti politique s’inspire de sa manière de gérer les réunions, une banque sollicite son expertise organisationnelle. Avec ses collègues, Pascal participe à des recherches académiques et donne des interviews. L’équipe est motivée et soudée comme jamais.

Tout changement amène des blocages. Ceux-ci peuvent mener à des discussions sans fin. Les arguments tournent en boucle dans les esprits et alimentent un dialogue de sourds. On peut discuter jusqu’à ce que mort s’en suive ou qu’un parti finisse par s’imposer avec le mot de la fin. Il est parfois utile de changer de registre et de passer à un autre langage. De parler au cœur et pas seulement à la tête.

La force du rituel s’est perdue dans notre société et celle-ci le cantonne à une connotation religieuse. Le rituel fait un pont entre le monde visible et invisible, conscient et inconscient. Il permet de faire émerger dans le monde physique ce qui est encore seulement à l’état de pensée ou de perception. Il fait descendre des idées dans la matière. En les gestualisant, il les rend réelles et leur donne corps. Cet acte créateur n’est pas limité au seul espace de la célébration.  Un rituel peut être pratiqué et inventé en tout temps pour ancrer une information et une intuition dans le monde physique.

On sous-estime ainsi la puissance du geste, de la parole et de l’intention qui peut parfaitement être utilisée dans un contexte organisationnel ou laïc. L’utilisation de symboles avec une mise en scène simple permet de marquer des passages et de transmettre des messages quand le mental reste bloqué. Le simple fait de visualiser un seuil à passer après en avoir discuté et d’en conscientiser le passage par un déplacement physique est déjà un rituel. Il engage les gens autrement qu’un discours.

Tout comme la décision symbolique, la forme du rituel dépend du contexte de l’entreprise. Elle doit aussi correspondre à la manière d’être de la personne qui l’organise pour que le rituel soit crédible et bien reçu. Il vaut toutefois la peine de sauter par-dessus son ombre pour proposer une telle démarche ou y participer.

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