L’entretien annuel d’évaluation

Cela fait trois semaines que la nouvelle forme d’organisation a été lancée. Les membres de l’ancien groupe de direction, constitués aujourd’hui en cercle, tiennent leur première réunion dans la nouvelle constellation. Les sujets ordinaires sont rapidement traités. Ellen profite du temps qui reste pour interpeller ses collègues en les fixant droit dans les yeux : « je me trompe, ou bien nous n’allons pas pouvoir continuer à faire les entretiens annuels d’évaluation des collaborateurs ? ». Un bref silence s’installe, suivi de signes d’approbation.

La nouvelle organisation n’est pas encore en place et beaucoup de questions restent ouvertes. Même si personne ne l’avait anticipé, il est déjà évident pour tout le monde que la nouvelle autonomie de décision implique de ne plus répondre à un seul supérieur hiérarchique.

Une solution se dégage assez vite. Le processus de transformation vient d’être lancé, on ne va pas tout réinventer en même temps. On gardera donc le formulaire d’évaluation habituel à la différence que cette fois-ci, le feedback ne sera pas forcément donné par le chef. Chaque employé peut aller demander un retour sur sa performance aux trois personnes avec lesquelles il a le plus d’interactions dans son travail. Il fera ensuite son propre résumé de ce qu’il aura entendu dans le formulaire classique et le transmettra directement aux ressources humaines.

La proposition est plutôt bien reçue par les équipes. Pascal croise Patrice, le réceptionniste, dans les escaliers. Généralement discret malgré un physique imposant, ce dernier l’intercepte pourtant pour lui glisser d’un ton caustique : « tu sais, je me réjouis, je vais enfin pouvoir parler à quelqu’un d’autre de mon évaluation. »

L’année suivante, Ellen n’a même plus besoin de reposer la question du format des entretiens annuels. La nouvelle organisation est rôdée et elle a aussi gagné en maturité. Finis les entretiens d’évaluation en bilatéral. Ceux-ci se feront désormais en groupe, au sein de chaque équipe, et avec des tours de parole. Dans un premier round, chacun pourra exprimer devant les autres où il se trouve personnellement dans l’organisation et quelles sont ses préoccupations. Dans un deuxième round, chacun déposera un feedback auprès de ses coéquipiers sur un poster préalablement préparé et affiché au mur. Des questions de clarification pourront être posées là où l’appréciation du groupe diverge de celle de l’individu. Enfin, la ronde se terminera sur un troisième tour ou chacun sera invité à exprimer à ses collègues de travail les qualités qu’il apprécie particulièrement chez eux.

Les entretiens traditionnels suivent une logique en étoile : seule la personne responsable a la vue d’ensemble sur ce qui se joue dans l’équipe. Ils ne donnent pas la possibilité au collectif de se voir lui-même dans un miroir, de développer une compréhension commune de la situation personnelle et professionnelle de ses membres et de s’adapter en conséquence. De plus, la multiplication d’entretiens personnalisés et leur documentation prennent beaucoup de temps.

Les entretiens collectifs ont l’avantage de permettre à toute l’équipe d’entendre les sujets de préoccupation individuels et donc d’élargir ses horizons en tant que groupe. Ils l’aident à avoir une meilleure compréhension de ce qui fait la force du team mais aussi des défis qu’il a à relever. Ils sont enfin efficients parce qu’ils permettent à une équipe de s’évaluer sans prendre beaucoup plus de temps que ne le demande un seul entretien d’évaluation individuel.

Certains des points relevés dans l’entretien collectif peuvent bien sûr être repris et développés de manière bilatérale entre les personnes concernées.

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