Pascal a parfois de la peine à suivre ses collègues. Ceux-ci sont enthousiasmés par la simplicité et la fluidité des processus qu’ils ont développés ensemble. La définition des objectifs annuels est devenue beaucoup plus transparente.
Catherine s’en réjouit au moment de donner son feedback sur l’atelier de planification annuelle avec les différentes équipes. Une ombre passe pourtant sur son visage rayonnant. « Il y a quand même quelque chose qui cloche » dit-elle. « Nos partenaires ne travaillent pas comme nous. Et encore moins nos bailleurs de fonds avec leurs exigences toujours plus élevées. Ils n’accepteront jamais notre manière de faire. Ce serait quand même plus simple d’utiliser leurs outils. Nous ne ferions le travail qu’une fois : il suffirait de faire du couper-coller de nos objectifs pour les organisations avec qui nous collaborons et pour celles qui nous financent. »
Pascal répond indirectement à la question. « Nous sommes des précurseurs. Si nous attendons que tous nos partenaires s’alignent avant de pouvoir transformer notre organisation, nous ne le ferons jamais. Il faut bien que quelqu’un commence. Et oui, c’est vrai que nous devons travailler avec les outils du monde extérieur quand nous collaborons avec lui. Mais je suis sûr que nous pouvons l’inspirer sur le long terme, même si c’est à nous de faire un effort. »
Catherine reste sur sa faim. Elle aimerait un environnement de travail plus cohérent.
Il est frappant de voir à quel point nous recherchons dans les organisations une cohérence qui échappe totalement à nos vies privées. Sans doute parce que nous entretenons l’illusion que les entreprises sont une machinerie bien huilée avec des rouages parfaitement imbriqués du sommet jusqu’au bas de la hiérarchie. Nous serions sans doute bien en peine de satisfaire à l’exigence que nous posons aux organisations quand nous jonglons à la maison entre les impératifs familiaux, la gestion des agendas scolaires ou encore le choix de nos loisirs. Fils et père, époux et bénévole, j’ai plusieurs visages, plusieurs degrés d’engagement et plusieurs agendas que je ne parviens pas toujours à concilier. Dans cette dispersion, je ne perds pourtant ni mon identité ni le sens de mes priorités.
Pourquoi en serait-il autrement dans une organisation ? J’évolue aussi dans le cadre professionnel dans des réalités parallèles. J’y suis confronté autant qu’ailleurs au chaos qui fait partie de la vie. Peut-être faut-il tout simplement, pour l’accepter, renoncer à l’image de l’organisation comme une machine parfaite et la remplacer par celle d’un organisme vivant. Un organisme qui est, comme le corps humain, en constante recherche d’équilibre, qui peut avoir une poussée d’énergie comme il peut se gripper et dont l’existence évolue par cycles plutôt qu’en ligne droite.
Chercher dans le new work une cohérence parfaite est une illusion. D’abord parce que cette perfection n’existe pas : pas plus dans la vie que dans les organisations classiques. Ensuite parce que vouloir remplacer le modèle absolu de la machine bien calibrée par celui d’une autre machine, organique mais tout aussi bien rôdée, serait une méprise. Echanger une mécanique contre une autre, c’est rester dans un même schéma de pensée. Il faut faire, dans le new work, le deuil de la cohérence.
Les nouvelles approches de travail apportent forcément de la confusion et une certaine désorientation. Il est important de rappeler aux équipes que tout ce qui marchait jusqu’ici n’a pas besoin d’être formalisé ou remis en question. Quatre-vingts pourcents du travail des collaborateurs reste inchangé : dans son contenu comme dans les interactions entre collègues. La nouveauté demande un autre état d’esprit, mais elle n’exige pas non plus de réinventer la roue si ce n’est pas nécessaire.
Et pour revenir à la question de la cohérence, si l’organisation est aux trois quarts cohérente, cela est déjà un beau résultat !
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