Les rives du lac Atitlan sont paisibles. Depuis le promontoire dissimulé dans la forêt luxuriante, la vue sur le volcan éteint qui s’élève des eaux est majestueuse. Le soleil fait scintiller le miroir aquatique au petit matin et donne au feuillage une tonalité d’émeraude.
Dans la clairière, les officiants vêtus de leurs habits traditionnels s’affairent pour alimenter le feu au milieu du cercle. Les offrandes de fleurs et de nourriture sont disposées sur des pierres. Au signal de Dona Leona, la foule des participants se réunit pour commencer le rituel. La vieille femme est impressionnante et force le respect. Son regard est perçant, elle arbore fièrement ses attributs mayas et semble inébranlable tant elle paraît ancrée là où elle se tient. Ancienne membre de la guérilla, elle est aujourd’hui une figure respectée de la société civile.
Pascal accompagne sa collègue de travail Christine pour visiter avec elle les projets que l’ONG où ils travaillent accompagne au Guatemala. Celle-ci soutient la lutte politique des peuples autochtones pour préserver leurs droits, leurs semences et leurs territoires. L’engagement politique et citoyen des militants est intimement lié à leur relation à la terre. Ils la cultivent, ils la défendent, elle les nourrit et leur donne la vie. Le rituel exprime pleinement ce lien. Les partenaires de travail de Christine, rôdés aux codes de fonctionnement des organisations internationales dans leurs rapports professionnels, laissent ici libre cours à leur tradition et à leurs émotions. Ils parlent la langue de leur peuple, brûlent leurs offrandes, s’agenouillent presque en transe devant les officiants. Pascal reconnaît Briselda dans l’assemblée. Il l’a croisée quelques jours auparavant dans une réunion politique. Venue de l’Equateur, elle en apporte son chant initiatique et ses rameaux d’arbres sacrés comme autant de bénédictions offertes aux militants. Sa voix fait vibrer l’air.
Pascal et Christine n’ont pas les clés pour comprendre ce qui se déroule sous leurs yeux. Ils n’en comprennent pas la langue et surtout, ils viennent d’une culture qui fait une stricte séparation entre l’humain et la nature de même qu’entre la politique et la spiritualité. Ils saisissent toutefois que ce lien est vital. Mais dans leurs échanges, ils restent désemparés pour savoir où en faire l’expérience dans leur propre culture. Ils n’ont aucun repère pour retrouver chez eux ce sentiment d’unité et cette capacité de dialogue avec la nature.
Pascal reste fasciné par sa visite de la ville de Chichicastenango quelques jours auparavant. Ici aussi les barrières occidentales ne s’appliquent pas. Sur le parvis de l’église blanche dominant la place du marché, des prêtres mayas accueillent les visiteurs en brûlant leurs offrandes. L’allée centrale qui mène à l’intérieur jusqu’à l’autel est jonchée de fleurs, de bougies et d’objets témoignant d’une autre tradition que celle du catholicisme. Les odeurs et les images typiques de la religion romaine occupent le fond de l’église. Ce mélange de spiritualités que la pensée cartésienne taxerait rapidement de syncrétisme apparaît pourtant dans ce contexte comme parfaitement naturel et organique à Pascal. Il n’y a pour lui aucune contradiction, ni aucune hiérarchie, sur le chemin qui mène du parvis jusqu’à l’autel : seulement des stations, des vibrations et des sensations diverses qui forment un tout.
Le Guatemala laissera une impression durable à Pascal. Il en garde une aspiration à une unité manifestement perdue dans le monde où il évolue. Il en conserve aussi la conscience de barrières qui n’ont pas lieu d’être entre les différents aspects de la vie tels que la spiritualité, la connexion avec la nature et l’engagement dans la société. Il peut seulement faire un lien intellectuel entre ces différents domaines. Il lui faudra encore du temps pour pouvoir les ressentir dans sa chair.
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